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Le village de Salles-Arbuissonnas en Beaujolais est célèbre pour son église et son cloître du XII ème siècle.
En 1787, une idylle des plus charmantes va se nouer au cœur même de ce nouveau Chapitre. Madame de Lamartine, Chanoinesse à Salles, hébergeait une jeune fille de seize ans, nouvellement arrivée. Monsieur le Chevalier Pierre de Lamartine, venant rendre visite à sa sœur, fut frappé par la grâce et l’esprit de Mademoiselle Alix des Roys. La jeune recluse et le bel officier s’aimèrent. Le mariage fut célébré le 4 janvier 1790. La même année naissait le futur poète, Alphonse de Lamartine, auteur de l’inoubliable poème “Le Lac”.
VI
« … Une des sœurs de mon père était chanoinesse d’un de ces chapitres nobles dans le Beaujolais, aux bords de la Saône, entre Lyon et Mâcon ; elle avait fait ses vœux à vingt et un ans. Elle y avait une maison que mon grand père avait bâtie pour elle. Elle y logeait une charmante amie de seize ans, qui venait d’entrer au chapitre. Mon père, en allant voir sa sœur à Salles (c’est le nom du village), fut frappé des grâces, de l’esprit et des qualités angéliques de cette jeune personne. La jeune recluse et le bel officier s’aimèrent. La sœur de mon père fut la confidente naturelle de cette mutuelle tendresse. Elle la favorisa, et, après bien des années de constance, bien des obstacles surmontés, bien des oppositions de famille vaincues, la destinée, dont le plus puissant ministre est toujours l’amour, s’accomplit, et mon père épousa l’amie de sa sœur.
VII
Alix des Roys, c’est le nom de notre mère, était fille de M. des Roys, intendant général des finances de M. le duc d’Orléans. Madame des Roys, sa femme, était sous-gouvernante des enfants de ce prince, favorite de cette belle et vertueuse duchesse d’Orléans que la révolution respecta, tout en la chassant de son palais et en conduisant ses fils dans l’exil et son mari à l’échafaud. M. et madame des Roys avaient un logement au Palais-Royal l’hiver, et à Saint-Cloud l’été. Ma mère y naquit ; elle y fut élevée avec le roi Louis-Philippe, dans la familiarité respectueuse qui s’établit toujours entre les enfants à peu près du même âge, participant aux mêmes leçons et aux mêmes jeux.
Combien de fois ma mère ne nous a-t-elle pas entretenus de de l’éducation de ce prince qu’une révolution avait jeté loin de sa patrie, qu’une autre révolution devait porter sur un trône ? Il n’y a pas une fontaine, une allée, une pelouse des jardins de Saint-Cloud que nous ne connussions par ses souvenirs d’enfance avant de les avoir vues nous-mêmes. Saint-Cloud était pour elle son Milly, son berceau, le lieu où toutes ses premières pensées avaient germé, avaient fleuri, avaient végété et grandi avec les plantes de ce beau parc. Tous les noms sonores du dix-huitième siècle étaient les premiers noms qui s’étaient gravés dans sa mémoire.
Madame des Roys, sa mère, était une femme de mérite. Ses fonctions dans la maison du premier prince du sang attiraient et groupaient autour d’elle beaucoup de personnages célèbres de l’époque. Voltaire, à son court et dernier voyage à Paris, qui fut un triomphe, vint rendre visite aux jeunes princes. Ma mère, qui n’avait que sept à huit ans, assista à la visite, et, quoique si jeune, elle comprit, par l’impression qui se révélait autour d’elle, qu’elle voyait quelque chose de plus qu’un roi. L’attitude de Voltaire, son costume, sa canne, ses gestes, ses paroles, étaient restés gravés dans cette mémoire d’enfant comme l’empreinte d’un être antédiluvien dans la pierre de nos montagnes.
D’Alembert, Laclos, madame de Genlis, Buffon, Florian, l’historien anglais Gibbon, Grimm, Morellet, M. Necker, les hommes d’État, les gens de lettres, les philosophes du temps, vivaient dans la société de madame des Roys. Elle avait eu surtout des relations avec le plus immortel d’entre eux, Jean-Jacques Rousseau. Ma mère, quoique très-pieuse et très-étroitement attachée au dogme catholique, avait conservé une tendre admiration pour ce grand homme, sans doute parce qu’il avait plus qu’un génie, parce qu’il avait une âme. Elle n’était pas de la religion de son génie, mais elle était de la religion de son cœur.
VIII
Le duc d’Orléans, comte de Beaujolais aussi, avait la nomination d’un certain nombre de dames au chapitre de Salles, qui dépendait de son duché. C’est ainsi et c’est par lui que ma mère y fut nommée a l’âge de quinze à seize ans.
J’ai encore un portrait d’elle fait à cet âge, indépendamment du portrait que toutes ses sœurs et que mon père lui-même nous ont si souvent tracé de mémoire. Elle est représentée dans son costume de chanoinesse. On voit une jeune personne, grande, élancée, d’une taille flexible, avec de beaux bras blancs sortant, à la hauteur du coude, des manches étroites d’une robe noire. Sur la poitrine est attachée la petite croix d’or du chapitre. Par-dessus ses cheveux noirs tombe et flotte, des deux côtés de la tête, un voile de dentelles moins noires que ses cheveux. Sa figure, toute jeune et toute naïve, brille seule au milieu de ces couleurs sombres.
Alphonse de Lamartine
«Les Confidences 1863 (Œuvres complètes tome 29, p. 17-34).
Livre premier, paragraphe V à VIII
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